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Avale ta montre

Culturé, bien élevé
Besoin de lunettes?
Gaétan
La chanson du vaurien
On efface tout
Mode d’emploi
Les chiffres vont parler
Les viscères
L’usure
Aux quatre coins de la sphère
Qu’à cela n’tienne
L’homme tonneau

Culturé, bien élevé
À peine sorti d’ma mère, les infirmières craquaient pour moi
Et dans la pouponnière, toutes les filles étaient en émoi
Je crée la sensation, je suis né comme ça, j’y peux rien
Je suis la perfection, le nec plus ultra masculin

Je suis la perfection, je le redis, que ce soit clair
L’ultime création, sans mauvais pli, j’ai tout pour plaire
Je fais bien des jaloux, on m’envie mes nombreux talents
Les femmes sont à mes genoux, je suis gentilhomme et charmant

J’ai trop de sensualité, de charme et d’ingéniosité
Je sais, ça peut paraître odieux, mais c’est comme ça qu’m’a voulu Dieu

Culturé, bien élevé, propre et proportionné
Je suis le fils qu’espèrent avoir tous les parents
Culturé, bien élevé, propre et proportionné
L’homme dont toutes les femmes rêvent, un fabuleux amant

On m’adule, on m’adore, on m’idolâtre, on me respecte
Pas seulement pour mon corps, mais bien sûr aussi pour ma tête
Je crée des commotions, j’inspire les envies les plus folles
Je soulève les passions, je rends les rigides frivoles

Mes frères ont des sales gueules, mes sœurs ont l’air de boules de quilles
Je relève à moi seul la valeur de toute ma famille
Le contraste est si grand que la rumeur est unanime
On accuse mes parents d’avoir un fils illégitime

Je sais, j’ai l’air égocentrique, oui mais chez moi c’est génétique
Le jour où l’on clonera des hommes, j’pourrai partager ma personne

C’est bien d’être parfait, mais parfois c’est lourd à porter
Ça m’écrase, en effet, tous ces excès de qualités
Je cultive l’impression que tout un chacun me déteste
Car, à la conclusion, les gens préfèrent les gens modestes

Alors je m’imagine être petit, moche et crétin
Devenir anonyme, avoir un médiocre destin
Mais cette idée m’effraie, du coup, je redeviens moi-même
Prétentieux, oui c’est vrai, oui mais bon, c’est mon seul problème

J’accepte avec humilité ces talents que Dieu m’a prêtés
C’est mon fardeau, c’est ma pitance, que d’vivre avec mon excellence

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Hugo Fleury et Polémil Bazar


Besoin de lunettes?
J’pourrais vous montrer comment fabriquer des bombes artisanales
J’pourrais vous apprendre à parler le langage de chaque animal
J’pourrais vous dire c’est quand la fin du monde
Et quels numéros vont sortir à la loterie
Vous expliquer pourquoi les glaciers fondent

Vous prouver que Jésus a eu une femme et un bébé
Vous mettre sur le cul, vous balancer vos quatre vérités
J’oserais même dire que j’ai tout vu, tellement j’ai voyagé
Tout entendu, mais je dois avouer que

J’comprends rien à vos amours quand vous vous lancez des assiettes
J’comprends rien à vos discours quand vous vous gueulez par la tête
J’comprends rien à vos détours quand vous savez le ch’min direct
J’comprends rien, ça m’joue des tours, j’ai p’t’être besoin d’lunettes?

J’pourrais vous faire des copies d’la clé du bonheur
Vous faire une mise à jour, mettre vos pendules à l’heure
Vous montrer comment vous y prendre et les raccourcis pour vous rendre
À Rome, à Katmandou, à Roberval, en enfer ou ailleurs

J’pourrais vous donner des chiffres et des statistiques
Craquer n’importe lequel système informatique
Expliquer tout, les tsunamis, le Big Bang, le sens de la vie
Et de la mort aussi, mais ça s’arrête ici, car

J’me sens comme un fumeur qui aurait pas d’allumettes
Un beau fruit sans saveur pour décorer l’assiette
Comme un diplôme inutile accroché dans l’salon
Un tracteur en pleine ville dans le temps des moissons
Ou comme un capitaine d’équipe éliminée
L’armée américaine sans guerre à déclencher
Je suis un savant décevant, un génie décalé

J’comprends rien à vos amours quand vous vous lancez des assiettes
J’comprends rien à vos discours quand vous vous gueulez par la tête
J’comprends rien à vos détours quand vous savez le ch’min direct
J’comprends rien à vos bonjours quand vous vous battez pour des miettes

J’comprends rien à vos amours
J’comprends rien à vos discours
J’comprends rien à votre humour
J’comprends rien ça m’joue des tours, j’ai p’t’être besoin d’lunettes?

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Josianne Laberge et Polémil Bazar


Gaétan
La neige couvre le balcon
J’me sens léger comme un flocon
Aujourd’hui j’m’appelle Gaétan, j’décroche
Et qu’aucun souci ne m’approche

Fait divers : l’été fout le camp
Y reste qu’une feuille dans l’boulot blanc
Aujourd’hui j’m’appelle Gaétan, j’décroche
Et j’tolérerai aucun reproche

Je n’attends rien, j’ai tout décommandé
Je n’aspire uniquement qu’à respirer
J’commence un roman par la fin
J’écoute un bon vieux Joe Dassin
« No me moleste mosquito… »
L’hiver est blanc, l’hiver est

Beau dimanche en caleçons
Pourvu qu’le poisson se tienne loin de l’hameçon
Pourvu que rien, mais vraiment rien n’arrive
Et que mon cerveau reste à la dérive
S’égare et ne s’éveille plus
Se soûle de rêve et d’absolu
Skipper solo d’océan blanc
D’mémoire d’hiver, blizzard troublant

Je m’offre un p’tit tour d’horizon
Sur le sofa du salon
Aujourd’hui j’m’appelle Gaétan, j’décroche
J’ai ni cœur, ni carré, ni flush

Éphémère désengagement
J’opère en terrain glissant
Aujourd’hui j’m’appelle Gaétan, j’décroche
Et rien ne m’fera péter ma coche

Je n’ressens rien qu’un goût de liberté
Je n’ai ni faim, ni soif à étancher
Le chat qui est coincé dans ma gorge
Ronronne un air de tonton Georges
« Non ce n’était pas le radeau… »
L’hiver est blanc, l’hiver est…

La neige couvre le balcon
J’me sens léger comme un flocon
Aujourd’hui j’m’appelle Gaétan, j’décroche
Rien dans l’coco ni dans les poches

Je fais d’l’air, je fais du vent
Je m’oblitère un moment
Aujourd’hui j’m’appelle Gaétan, j’décroche
Subtil et brillant comme un roche

Je n’comprends rien, tout est trop compliqué
Aucune envie de me faire expliquer
Seul sur mon île sans idée fixe
Au p’tit bonheur surgit Félix :
« Dans ce château y’avait Bozo… »
L’hiver est blanc, l’hiver est…

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Hugo Fleury et Polémil Bazar


La chanson du vaurien
Un mégalomane aux desseins démagos
Un monsieur démesure, une enflure de cinquante-trois kilos -de trop!
Un illicomane, monté sur ses grands ch’vaux
A quitté le plancher des vaches et s’est hissé très, très haut

Dernier de la lignée, l’accident, le raté
Le bâclé, méprisé, mal aimé; l’émir de la médiocrité
Contre toute attente a vaincu
Contre toute attente est parvenu
Entre autres, à s’enrichir à notre insu

La chanson du vaurien qui nous passe un sapin
Avec son p’tit air candide, son phrasé fluide et ses gants de satin
La chanson du vaurien qui s’en lave les mains
Et dort la conscience tranquille, sans remords inutiles
Et sans scrupules, aucun

C’est un automate réglé pour faire banco
Roi d’l’avoir à l’usure qui ne jure que par ses capitaux
Un cogitocrate, dresseur d’abris fiscaux
Maraudeur aguerri débusquant les profits, les magots

Rachitique et petit, négligé par la vie
Démuni des outils ravissant les jolies, mais toujours jalousé, courtisé
Contre toute attente a vaincu
Contre toute attente est parvenu
Entre autres, à s’payer l’honneur d’être élu

C’te vieux phallocrate, richissimafioso
Échappa à trois A.C.V., au cancer et aux impôts
C’te chorizo schlass, mourut comme un héros
En laissant derrière lui un fils aussi pourri mais plus beau

Honoré, couronné, décoré, encensé
Acclamé, respecté, révéré; le pire des meilleurs exemples à donner
« Un homme de vertu, Dieu ait son âme…»
Contre toute attente a vaincu
Contre toute attente est parvenu
Entre autres, à s’offrir son boulevard et sa statue

La chanson du vaurien qui nous passe un sapin
Avec son p’tit air candide, son phrasé fluide et ses gants de satin
La chanson du vaurien qui s’en lave les mains
Et dort la conscience tranquille, sans remords inutiles
Sur ses deux oreilles, du sommeil éternel

La chanson du vaurien dans son manteau d’sapin
Avec son p’tit air livide, son parfum d’orchidée, son drapeau canadien
La chanson du vaurien qui s’en lave les mains
Prêt à conquérir le ciel et se faire immortel
Sans scrupules, aucun

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Thierry Gateau et Polémil Bazar


On efface tout
Viens perdre le nord, mettre ton compteur à zéro
Viens t’glisser des mains, laisser valser ton cerveau
Sors de ce grand corps, défais tes nœuds, desserre les crocs
Ravale ton fiel et vole, encore un peu plus haut

Ici les murs fondent au soleil
Comme les soucis, les mots qui courent
Sont d’la frénésie qui s’réveille
Et d’la poésie des basses-cours
Où l’chant des coqs au vin mousseux
Réveille les morts et s’harmonise
Aux hurlements des jours heureux
C’est l’concert des âmes insoumises

On efface tout c’qui rime avec
Chagrin, rancœur, ennui, misère et abandon
Ça fait des trous qu’on bouche avec
L’euphorie des cœurs évadés de leur cloison

Montre tes couleurs, sors le lapin de ton chapeau
Range tes humeurs et fais-nous voir ton numéro
Désobéis-toi, débarrasse tous tes interdits
Prends ton grabat, lève-toi et marche; on a qu’une vie

Ici les portes sont ouvertes
Aux destins les plus improbables
Et les fenêtres se permettent
De nous faire toucher l’impalpable
On ne cherche pas ce qu’on trouve
On suit le filon de nos veines
Tout l’monde est le fils de la louve
Ou bien la fille du capitaine

Si t’hésites encore à t’embarquer dans not’ bateau
À mettre le cap au hasard et aux oiseaux
J’t’offre une mer à boire et d’la chair de lune à manger
J’te donne le vent dans ce p’tit air endimanché, un vent diablé

Ici y’a qu’un plafond d’azur
C’est l’infini, c’est l’absolu
Ici t’es partout en lieu sûr
Et si on t’a pas convaincu
On t’fait faire l’essai pour une heure
C’est gratuit, on fournit les ailes
C’est clé en main, c’est du bonheur
Garanti à vie éternelle

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Hugo Fleury et Polémil Bazar


Mode d’emploi
J’voulais devenir un grand voleur
Un Robin des Bois, un braqueur
De banques, un vrai justicier
Mais j’ai jamais pu voler l’heure
À un quidam, ni même une fleur
Dans un cimetière à ma bien-aimée

J’voulais devenir un grand docteur
Soigner les gens de leurs malheurs
P’t’être sauver l’humanité
Mais à la vue du sang, torpeur
Mes membres se figent et la peur
S’empare de moi, je suis sidéré

J’ai pensé faire curé, j’ai pensé faire livreur
J’ai pensé piloter des bateaux
Mais j’aime pas trop prier
J’arrive jamais à l’heure
Et vous l’auriez deviné : j’ai peur de l’eau

J’ai pensé avocat
J’ai pensé professeur
J’ai même pensé gagner au loto
Mais j’connais pas mes droits
J’suis mauvais orateur
Et vous vous en doutez, j’ai la chance à zéro

J’ai des trous dans les dents
Des trous dans les poches et pourtant
Je vois la vie en rose
J’lis pas les modes d’emploi
J’aime pas les canevas qu’on m’impose

J’ai des trous dans les dents
Des trous dans les poches et pourtant
Ma vie n’est pas morose
J’ai j’té le mode d’emploi
Du bonheur sous hypnose

J’ai voulu devenir facteur
Parfait métier pour un glandeur
Marcher toute la journée
Mais je n’songeais pas aux rigueurs
De l’hiver, ni au fait qu’j’ai peur
Des chiens, des chats et des escaliers

J’ai même voulu devenir dompteur
De lions dans un cirque et mon cœur
Me disait « tu as trouvé »
Mais j’aime pas voyager, j’ai horreur
Des trapézistes et des jongleurs
Et les clowns m’ont toujours effrayé

J’ai pensé faire pompier
J’ai pensé faire boxeur
J’ai pensé piloter des avions
Mais j’suis une poule mouillée
J’suis moins costaud qu’ma sœur
J’ai peur des attentats, j’aime pas les ascensions

J’ai pensé musicien
Comédien ou danseur
J’ai même écrit quelques scénarios
Mais j’ai des pouces plein les mains
J’ai les planches en horreur
Et la verve d’un auteur de romans-photos

J’ai des trous dans les dents
Des trous dans les poches et pourtant
Je vois la vie en rose
J’lis pas les modes d’emploi
J’aime pas les canevas qu’on m’impose

J’ai des trous dans les dents
Des trous dans les poches et pourtant
Ma vie n’est pas morose
J’ai j’té le mode d’emploi
Du bonheur sous hypnose
J’ai j’té le mode d’emploi
Qui fait des vies moroses

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Hugo Fleury et Polémil Bazar


Les chiffres vont parler
Les techniciens sont débordés, on sent bien la nervosité
Treize écrans géants à monter, toute la sono à balancer
Sept caméras pour le podium, douze pour une foule de deux cents hommes
Quatorze pour la table d’honneur et plusieurs autres à l’extérieur

Un, deux, trois, test de micro, on rajoute un p’tit peu d’écho
Ça donne un effet de grandeur aux mauvais orateurs
Un p’tit gel orange en façade pour colorer leur ton maussade
Un décor des plus mauvais goûts, rempli d’affreux logos partout

Dans quelques heures le show va commencer
Sauf que personne va chanter, ni danser
Ce soir les mots seront comptés
Ce soir les mots seront pesés
Ce soir le bilan déposé
Ce soir les chiffres vont parler

Les tables sont enfin montées mais l’maître d’hôtel est tracassé
Les quatre-vingt-trois cuisiniers le questionnent sur la quantité
De câpres et de rondelles d’oignon à servir avec le saumon
Et qu’en est-il du wasabi : à côté ou dedans l’sushi?

« Deux cents couverts fois sept services, mes amis, soyons réalistes
C’est deux mille plats sous la normale d’un congrès libéral!
Passez-leur du vin ordinaire; y’a pas plus cheap qu’un millionnaire
Mettez l’paquet sur l’apparence et servez des portions immenses »

Dans près d’une heure le show va commencer
Retransmis en direct à la télé
Ce soir les mots seront comptés
Ce soir les mots seront pesés
Ce soir le bilan déposé
Ce soir les chiffres vont parler

Les derniers détails à régler, la tension ne cesse de monter
Le quatuor vient d’arriver, on cherche un coin pour l’installer
Le maître de cérémonie, un vieil humoriste fini
Pousse les limites du pathétique en voulant faire son p’tit comique

Ça grouille partout, faut faire ça vite, on court, on s’énerve, on palpite
Les actionnaires dans le lobby fument et s’inquiètent aussi
On sait qu’l’année fut un calvaire, l’action chutait encore hier
Quatre-vingts milliards de profits c’est moins que c’qu’on avait prédit

Dans une demi-heure le show va commencer
De quelle humeur sera le PDG?
Ce soir les mots seront comptés
Ce soir les mots seront pesés
Ce soir le bilan déposé
Ce soir les chiffres vont parler

Tout est fin prêt pour démarrer, malgré le stress et l’anxiété
Les actionnaires sont attablés, les serveurs attendent le OK
Réunion de l’équipe technique, le réalisateur panique
Il explique pour la vingtième fois le début du show à haute voix :

« On ouvre sur un jet privé qui atterrit sur Grande-Allée
Au milieu du peuple ébloui qui, bien sûr, applaudit
Le PDG sort de l’avion, sourire figé, sans émotion
Monte en calèche, salue la foule, arrive au Château et ça roule… »

Dans dix secondes le show va commencer
Vous pouvez servir le saumon fumé
Ce soir les mots seront comptés
Ce soir les mots seront pesés
Ce soir le bilan déposé
Ce soir les chiffres vont parler

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Thierry Gateau et Polémil Bazar


Les viscères
Jamais plus vous n’aurez à faire la paix
Quand vous n’ferez plus la guerre
Jamais plus vous n’aurez à vous parler
Quand tout s’ra mis au clair
Jamais plus vous n’aurez à faire semblant
Quand vous s’rez transparents
Jamais plus vous n’aurez à vous trahir
Quand vous s’rez solidaires

En attendant la venue d’un nouveau messie sur terre
Ou d’une machine à faire tourner le vent
J’invite cordialement les foies et les cœurs à rester des viscères
Et tout l’monde à finir la nuit vivant

Jamais plus vous n’aurez à croire les faits
Quand y’aura plus d’histoires
Et jamais plus vous n’pourrez vous cacher
Quand on f’ra la lumière
Jamais plus vous n’aurez à faire d’efforts
Lorsque vous serez morts
Jamais plus vous n’pourrez vous évader
Quand vous s’rez libres et fiers

Si jamais l’envie vous prenait, l’envie du beau, l’envie du vrai
Celui d’édifier quelque chose, envie qu’on s’bouge, envie qu’on ose
Détourner le cours du destin, tenter de freiner le déclin
Envie de croire en ce qu’on est, de ne plus jamais dire jamais

Ne rien attendre d’aucun dieu, de quelconque manière
Et s’arranger pour faire tourner le vent
Quand vous irez debout, la foi en vous et le cœur grand ouvert
Alors j’irai vous rejoindre en courant
Ensemble, on finira la nuit vivant

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Hugo Fleury et Polémil Bazar


L’usure
On naît tous la tête à l’envers et l’crâne écrabouillé
On naît tous tout nu comme un ver et plutôt contrarié
On naît dans un curieux mélange de douleur et beauté
On est un amalgame étrange d’un tas d’ambiguïtés

On d’vient, au hasard des tempêtes et des routes empruntées
On d’vient de bizarres girouettes, farouches et entêtées
On d’vient des moutons conformistes ou des chiens enragés
Mais on d’vient tôt ou tard un peu triste, amer et fatigué

On se normalise à l’usure, à force d’additionner nos blessures
À force d’impuissance et de brisures; d’encaisser les coups durs, endurer les brûlures
On se banalise à mesure que nos illusions sont jetées en pâture aux lions
Et ça nous défigure, nous fissure, dans nos convictions les plus pures

Nos meilleures intentions se cassent la gueule sur l’indifférence profonde d’un monde
Où chacun fait cavalier seul, un monde animal, cannibale et immonde
Inondé de barbares hostiles et d’abrutis, saturé de renards aux immenses appétits
Un monde empli d’espoir et d’amour aussi, encore faut-il y croire, moi j’y réfléchis…

Je me tâte, je me sonde, je divague, vagabonde
Déambule dans mon monde minuscule, je me gronde
M’en voulant pour je n’sais quelle raison, je gruge mes ailes
Me cherchant souvent querelle, je me provoque en duel

Moi contre moi, de bonne guerre, bras d’honneur, bras de fer
C’est moi contre ma colère, moi contre tous mes travers
Je me rue de coups d’états d’âme, je me tue à me crier « rame! »
Mais je prends l’eau comme tous les blâmes, m’esquintant à sauver ma flamme

On naît où le hasard nous pose, chanceux ou mal tombé
On d’vient ce qu’on peut, ce qu’on ose ou c’qu’on nous a dicté
On meurt, qu’on soit déçu ou fier, de bon ou mauvais gré
On meurt sans la clé du mystère et la page est tournée

Paroles : Hugo Fleury (pour Héloïse)
Musique : Thierry Gateau et Polémil Bazar


Aux quatre coins de la sphère
Au sud, en amont du grand fleuve contaminé de fiel
Se dresse un palais buvant la lumière
Au faîte de ce château pleuvent des flammes vers le ciel
Le feu du sang extorqué à la terre
Le magnat de ces fourneaux déverse dans l’azur
Un parfum de plomb riche et délétère
Ce Roi, impassible salaud, cinglant de démesure
Transforme l’or, les forêts, l’eau et l’air

À l’est, au-delà de la mer, un désert, un royaume
Où des soleils se lèvent au cœur de la nuit
Le mal étranger, mercenaire, a pénétré le dôme
Et la mort s’y porte mieux que la vie
Il puise, épuise et colporte sa morale guerrière
Et rapporte son butin, ses barils
Ailleurs, dans de riches cohortes, hypocrites et prospères
Loin de l’épicentre des barbaries

Aux quatre coins de la sphère, un avant-goût de l’enfer
Et v’là qu’on s’demande pourquoi ça n’tourne pas rond?
En cette ère de l’éphémère, des aveugles visionnaires
Mènent le monde, méprisant la raison

Au nord, un désert boréal, beau et blanc, tout de neige
S’érode comme sagesse et savoir
Soumis, un peuple immémorial, mille fois pris au piège
Impuissant, voit fondre terre et espoir
Le Roi se réjouit de la fonte car une voie se dessine
Un raccourci pour ses bateaux de guerre
Que diable si les marées montent, les tempêtes assassinent
Les tours sont loin du niveau de la mer

À l’ouest, chez le nombril du monde, la paranoïa règne
Et la liberté n’a qu’une seule couleur
On dort sur un volcan qui gronde, on cultive la haine
En chantant la Mélodie du bonheur
Outrances et gaspilles à la chaîne sont au menu du jour
Et le je-m’en-foutisme fait la loi
Et tourne la roue qui ramène et ramènera toujours
L’homme à la bête et les richesses au Roi

Chez moi, des idées noires abondent : la honte, la colère
Et le fantasme de voir s’effondrer
Ces tours de feu nauséabondes, cet empire pervers
D’indifférence et d’inhumanité
Ici, dans mon cœur, dans ma bulle, au lieu d’une prière
Un espoir difficile à formuler
Fragile, naïf et minuscule; une bouteille à la mer
Espoir qu’enfin tout pourrait basculer

Aux quatre coins de la sphère, dans un éclat de lumière
Les voix se libèrent et entament à l’unisson
Un chant pour la Terre Mère sur un air salutaire
D’où jaillit l’espoir, triomphe la raison

Paroles : Martin Desjardins et Hugo Fleury
Musique : Martin Desjardins et Polémil Bazar


Qu’à cela n’tienne
J’ai comme une sale impression de doute
Une sale commune impression de coûte que coûte
Je sens qu’on m’attend au tournant, je sens qu’on me guette
Je sens fuir le temps, je sens le doigt plier sur la gâchette

Sous le poids d’une pression tenace
Trop de choix qui se feront à pile ou face
Trop d’avis contraires et trop de chiffres à recompter
Trop de choses à faire avant de vous laisser monter

J’ai comme une sensation de déroute
Une virulente appréhension de banqueroute
De mise en demeure, d’effondrement, de soumission
J’pressens la douleur d’une sentence à vie sans rémission

Sous le poids des dégénérescences
Trop de nous qui sombrons dans la complaisance
Trop d’pieds dans l’ciment et trop peu de bonne volonté
Si peu d’éléments sur lesquels on peut influer

Mais qu’à cela n’tienne, j’monterai dans l’train qui va passer
Le prochain qui m’emmène, peu importe où j’aboutirai
À la croisée des ch’mins, dans un cul-de-sac ou au sommet
Du Glacier des Chagrins, sur le pont des Si, chez les Ouimais

Que l’envie me vienne d’aimer, d’haïr ou d’ignorer
La vie, la mort, les peines et les petites joies bigarrées
J’me débarrasse du contre, j’mets l’feu aux poudres et aux planches
Et j’reste avec l’idée qu’chez nous c’est tous les jours dimanche

J’ai comme une incision dans la voûte
Comme une balle perdue rencontrée sur ma route
J’attire les voleurs de bonne foi et de compassion
J’aspire les malheurs par quelque noble élan d’aliénation

Sous le poids de fatales ignorances
Trop de voies condamnées par la Providence
Trop pressé de faire advenir quatre volontés
Trop tard pour se taire et trop sérieux pour en parler

Y’a de la grisaille, c’est demain la veille
Fermez les yeux, bouchez vos oreilles
Deux cheveux nous tiennent encore à quelque chose
Quoi qu’il advienne, ce n’sera sûrement pas rose

Un tas d’ferraille brûle au soleil
Faites un grand vœu, videz votre bouteille
Deux cheveux nous tiennent encore à cette forme de vie
Quoi qu’il advienne, ce sera forcément pas joli

C’est l’heure de traverser le pont
L’heure de s’éveiller pour de bon
C’est demain la veille

Paroles : Hugo Fleury
Musique : Martin Desjardins et Polémil Bazar


L’homme tonneau
Un barbare vaque, saccage au gré
Du temps, des jambes et des idées
Sape et s'en pourlèche de tourments
Son monde en ruines s'apparente
Au sillage noir creusé à même
Un visage avide de rien
Livide, blafard, ensorcelé
Par un manque d'envie plein les mains

Un chantier porte sur son dos
Un mirage, l'ombre d'un tonneau
Percé de balles venues de l'ouest
Là où les sans-histoires se bercent
Se bercent de leurs simples acquis
Parlent de rien, parlent d'ici
Achètent un mort, vendent ses habits
Ceux-ci se battent, ceux-là aussi

On a plaqué sur ma peau
Un homme chevauchant un tonneau
S'élance, vole, lève le poing
Et l'objet lui glisse des mains
Tombe et transperce mon crâne et puis
Change l'homme en or, brûle et construit
Une statue noire sur leurs terres
Avec un flambeau à la main

Un charognard sculpté à même
Un lingot d’or, une poignée de main
Dévasté, bouffé par les vers
Pourri doucement, crache et s'éteint

Paroles : Josianne Laberge
Musique : Antoine Bretel et Polémil Bazar

 

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